L’éducation nationale est une magnifique machine, bien huilée depuis des lustres avec les mêmes rouages. Tellement bien huilée d’ailleurs que ça déraille souvent et que quelque soit l’accident, la machine repart toujours en effaçant la catastrophe. Et oui et pour effacer, rien de mieux que de faire disparaître les éléments gênants. Pour maintenir ce fonctionnement, les moyens sont simples, il y a des choses qu’il faut absolument dire et il y a des choses qu’il ne faut absolument pas dire sous peine de…. En même temps je m’en fous, je suis déjà blacklisté.
Non bien sûr que non, ça c’est la pensée. La réalité c’est un mail invitant à discuter, ou le plus souvent un coup de fil parce que cela ne laisse pas de trace ou une entrevue directe qui en laisse encore moins. Dans l’éducation nationale, on ne dit pas les choses comme cela, on dit, je vous invite à reconsidérer ce propos (si possible publiquement), c’est un manque de loyauté envers l’institution (en particulier lorsque vous refusez un travail), ou encore, pensez à la pérennité de ce poste (en particulier si vous avez un poste qui n’est pas devant élève comme si la menace était de retourner devant les élèves). Mais qu’est-ce qui peut bien conduire à ce genre de menaces ou de censure? Et bien des petites phrases, car si l’institution mesure ses propos, elle a l’habitude de décrypter les vôtres. On ne prendra que l’exemple du numérique hein parce que ce principe s’applique à toute discussion sur l’institution.
Donc voici les 12 CHOSES A NE PAS DIRE SUR LE NUMERIQUE:
1-Les décideurs sont des ignorants:
Alors ça surtout pas, car, à tous les niveaux les décideurs vous sont bien supérieurs. Soit ils paient, soit, ils ont le concours qui fait d’eux des gens bien plus compétents que vous quelque soit le domaine. Et oui sachez que quelque soit la question évoquée, votre IPR ou IEN par exemple est, de par la loi, plus compétent que vous. D’ailleurs comment pourraient ils être des ignorants puisque pour le numérique un formidable comité national a été mis en place, faisant la part belle aux entreprises du numérique. Donc preuve que c’est vous qui vous plantez. Cela est encore plus vrai lorsque les décideurs concernés ont été nommés. ils vous en voudront deux fois plus car leur destin est exceptionnel, ils ont atteint leur poste sans mêmes les prérequis habituels, ce qui en fait des sortes de demi-dieux
2-Ca ne tient pas la route matériellement:
Ne jamais critiquer la mise en place matérielle du numérique à l’école. Les collectivités dépensent beaucoup d’argent et ont des personnels très compétents pour vous dire comment l’utiliser (sans avoir jamais vu une classe). Ainsi, on se retrouve avec des machines obsolètes dès leur achat car, allez savoir pourquoi, l’appel d’offre retenu correspond à une demande vieille en fait de 5 ans. Mais parfois, le matériel est à la pointe mais pour des raisons de sécurité, leur utilisation est quasi impossible. Ne me faites pas dire ce que je n’ai pas dit, la machine marche bien. On se retrouve avec des départements qui équipent tous leurs collégiens de ipad, qui n’ont même pas accès aux espaces de stockage académique pour des raisons de sécurité, qui ne peuvent accéder à aucun site sécurisé (et oui la connexion https sert aussi pour facebook donc on bloque toutes les connexions https pour que facebook ne soit plus utilisable).
3-Cet ENT est inutilisable
Pour en avoir connu un dans le genre, ce ne sont pas des choses à dire. Le sujet est sensible, ce sont des millions en jeux et de la grosse comm institutionnelle en perspective. Si l’ENT est inutilisable c’est que vous êtes un gros tocard. La collectivité vous objectera qu’à ce prix, c’est forcément bien et sera appuyée par l’institution qui vous objectera qu’il serait temps de repenser vos usages, qu’il faut envisager les choses autrement. Aucun de vos argument ne passera. Y compris lorsque votre ENT sera inaccessible, ce sera pour le bien de tous, pour une amélioration sans précédent qui vous permettra enfin de changer la couleur des textes dans le cahier de texte. On vous fera même des démos de séquences « pédagogiques » du bousin, qui n’auront aucun intérêt puisque faites pour la démo et pas pour des élèves.
4-Il y a de biens meilleurs outils que l’on utilise déjà
Je vous renvoie à la sentence précédente. Il faut changer et utiliser le moins bon. Si vous êtes parmi les gens un peu reconnus dans les usages, on vous arguera que vous faites un petit sacrifice pour le bien de tous car il vaut mieux que tout le monde n’utilise que simplement quelques geeks (prononcer jik par les quelques autorités hiérarchiques qui l’utilisent). Et puis bon, hein, vos outils c’est un peu se vendre à google et autre géant du web alors que ce bon vieux logiciel qui vous empêche tout vrai travail collaboratif, tout échange et pas user friendly lui c’est du 100% sûr. Et puis bon un, c’est la pédagogie qui prime pas l’outil (une vaste phrase inventée en réalité pour faire des plans informatiques pourris).
5-On n’est pas assez formés pour ça:
Bon là je vais être d’accord avec l’institution pour une fois. Faut des fois un peu se sortir les doigts quand ils sont bloqués quelque part. Côté institution il faudra penser à des formations réalistes et concrètes.
6- Ces projets sont à la botte des éditeurs:
A ne surtout pas dire. Parce que d’une part l’éducation nationale est-elle même éditrice par le biais du CNED et du réseau CANOPE, deux éléments critiqués par la cour des comptes notamment pour leur inefficacité et leur coût, mais aussi parce que tout bêtement, c’est vrai. Les arguments ici seront de tout poil. Au plus haut niveau, on ira jusqu’à vous dire que l’on défend l’emploi dans l’édition, sans vérifier d’ailleurs l’évolution de cet emploi (qui a fortement baissé). L’institution vous aide à disposer de quantités de ressources numériques de qualité plus que variables, souvent inutiles en classe d’ailleurs, donc ne vous plaignez pas.
7-Il faudrait valoriser les productions numériques des enseignants:
OUh là, vous allez bien loin et là c’est au bas mot le pilori qui vous attend. Donc vous souhaitez que l’on diffuse des ressources faites par des enseignants, genre pas signées et validées par un IPR, pas sous la coupe d’un éditeur, pas RIP ?. Et oui parce que, alors que vous travaillez depuis des années, en utilisant des ressources variées que parfois vous fabriquez, il faut attendre l’avis d’une sombre commission peuplée d’inconnus pour vous dire que vos ressources ont un réel intérêt. RIP, l’acronyme a de quoi faire rire d’ailleurs.
8-Il vaudrait mieux…..
T’as pas compris, on ne t’a pas demandé ton avis. Il y a des gens payés pour dire ce qu’il vaudrait mieux.
9-Qui va gérer tout ça?
Alors là, cette question ne vaut même pas la peine d’être émise. Entendu d’un haut responsable académique, « les enseignants savent très bien gérer leur matériel et se passeront d’un accompagnement technique ». OUI d’ailleurs tous les enseignants maîtrisent les adhésions de postes à un serveur linux, le paramétrage de bornes wifi, l’installation de logiciels……. D’ailleurs il faut y voir ici un autre soutien à l’emploi des boites de réparation informatique. Ce non accompagnement technique génère des millions pour les petits artisans informatiques qui passent leur temps à nettoyer les adware porno des enseignants ou les reliquats de jeux webs. Si vous avez de la chance, votre collectivité aura embauché à la hâte 4 ou 5 personnes pour gérer un département.
10-Je vais faire à ma sauce
T’es mort. Et oui, toi qui utilises des services web, parfois ta propre borne wifi. Tu mets en péril l’Education nationale. Tu enfreins des règles de sécurité majeures, tu livres des données à des services tiers. Tu exposes tes élèves au grand Satan du web. Si encore l’académie avait payé pour ce service. D’ailleurs ton blog, il est hors de questions qu’il ne soit pas sur les serveurs académiques qui ont mis à disposition un équivalent avec toutes les limites qui t’ont conduit à aller chercher ailleurs. Le serpent se mord la queue. Tu utilises des services car tu n’es pas satisfait de ceux que l’on te propose, alors on va t’en proposer d’autres qui te feront encore partir. Pourquoi, parce que celui qui décide ne sait pas ce qui se fait en classe, ne sait pas ce que tu attends, et surtout, il couvre ses arrières.
Vous pouvez prendre tous ses éléments et en faire un bingo du numérique à l’école. Vous remarquerez qu’aucune des vraies questions n’est posée. Où sont les élèves, où sont les profs? Tout part d’en haut pour s’écraser. Ce qu’il en reste, des débris. Donc sur le web, vous pouvez insulter qui vous voulez, méprisez vos élèves, vos collègues, votre hiérarchie, vous pouvez même dans la vraie vie refuser d’appliquer le programme et finir hors classe mais jamais non jamais, vous ne pouvez dire que le numérique à l’école c’est une foire.
Et à qui cela profite? Et bien dites vous juste que tous ces arguments seront repris indifféremment par les opposants au numérique et ceux qui disposent d’une conscience numérique. Les réacs du numérique, d’ailleurs en général réacs de la pédagogie, ont là de quoi mettre en exergue l’échec du numérique. Les autres, et bien ils continuent à bidouiller, se mettre en danger et à subir l’ineptie d’une comm sans réflexion.
Petit hommage aux blacklistés, menacés, sanctionnés, mis au placard pour avoir émis des hypothèses, discuté de faits, réclamé un dû, osé donner un conseil…